Quand les Blacks faisaient des tournées de 9 mois...


La Coupe du Monde de rugby qui va nous passionner encore pendant un mois a pris sa place dans le calendrier sportif devenant un des grands moments  (le plus important de l’année «3 ») des cycles de 4 ans que suit le monde du sport depuis les 1eres Olympiades modernes en 1896. Le rugby est désormais un sport « comme les autres » avec son activité frénétique mondialisée 10 mois sur 12, ses rencontres internationales regroupées en trois grandes pauses en novembre, février et juin, ses coupes d’Europe, son Super rugby de franchises dans l’hémisphère Sud, ses clubs aux joueurs issus des 4 coins du Monde…  De fait s’étant organisé sur le tard, quand dans les années 90 il se décida à se lancer dans le professionnalisme bien après ses concurrents, il a pu bâtir une structure plus claire, efficace et moderne que le soccer par exemple. On aurait du mal à imaginer la FIFA arriver à créer, dans un sport qui a figé ses championnats pro il y a parfois 110 ans, une ligue multi nationale de franchises comme la Ligue Celtique. La réussite du rugby à 15 au niveau mondial ces 25 dernières années tient au fait qu’il a su, sans se couper de ses racines, être parfaitement en adéquation avec son époque.

Les All Blacks en sont un parfait exemple. Véritable phénomène marketing, la sélection néo-zélandaise est avec la Seleçao brésilienne côté ballon rond, l’équipe nationale la plus idolâtrée dans le monde du sport. Comme leur pays qui entre écologie, qualité de vie et tournages du « Seigneur des anneaux » est surement la nation la plus « cool » dans l’opinion publique mondiale, les All Blacks se sont construits une image parfaitement dans l’air du temps. Respectueux de la tradition et de leur histoire (Le Haka en étant leur plus belle et « bankable » démonstration) mais terriblement modernes, spectaculaires, multi culturels et bien sûr, cela ne gâche rien, toujours en haut de la hiérarchie.

Pourtant ceux qui ont connu un rugby que les moins de 30 ans n’ont pu connaitre, se souviennent de ces années au charme suranné où le rugby était un mélange improbable d’anglo-saxons snobinards aux polos trop stricts et de braillards franchouillards à l’accent de Toulouse se rassemblant pour suivre les combats d’un sport brouillon, aux règles indéfinies où 8 Obelix et 7 Asterix dans chacun des camps essayaient d’être plus roublards que ceux d’en face. Et ces « anciens » là se souviennent aussi de ces équipes All Blacks 100% blanches et moustachues qui venaient  tous les 10 ans mettre de peignées à toutes les sélections possibles du Vieux Continent pour rappeler à tous que c’était bien eux les meilleurs à ce jeu.

Je vous propose donc un petit retour sur les fameuses tournées des All Blacks ancienne génération….


 Tout commença en 1884 quand les premiers Blacks traversèrent le bout de Pacifique qui les séparent de l’Australie pour aller défier quelques Kangourous. A l’époque il n’y a pas encore de sélection Australienne et contre différentes sélections provinciales les Néo-Zélandais gagnent 9 matchs sans être inquiétés. Leur légende venait de naitre.

En 1904 les Lions Britanniques prennent le bateau pour visiter ces lointains et exotiques cousins et, bien sûr, perdent.

L’année suivante les Kiwis vont à leur tour monter dans un bateau, faire 40 jours de mer et venir pendant 5 ( !)  mois défier tout ce que les Iles Britanniques et la France comptent alors de rugbymen. L’expédition qui dura au total presque 8 mois se soldera par une jolie fiche de 34 victoires et une défaite. Cette défaite, 3-0 (un essai à zéro de l’époque) à Cardiff contre les Gallois étant encore aujourd’hui objet de polémiques (on a pas les images on pourra pas demander la vidéo), liées à un essai Black refusé.

Cette première tournée en Europe sera alors répétée pratiquement tous les 10 ans (disons dans les années en 3 , 4 ou 5). On passera sur la suivante où les Neo-Zélandais n’envoyèrent pas des rugbymen mais des soldats dans les tranchées de la Grande Guerre et on passera directement à la tournée de 1924-25. Possiblement la plus longue de l’histoire du sport avec une délégation d’une trentaine de joueurs qui partit presque un an (en comptant le long voyage en bateau). Après quelques matchs en Australie en juillet 1924, un retour express à Auckland (où les Blacks enregistrent une des deux seules défaites de la tournée contre leurs compatriotes de l’équipe locale !), ils partent en Europe puis au Canada ne rentrant au pays que début avril 1925. 36 victoires et donc deux défaites plus tard.

Les tournées suivantes seront des opérations monstres où les All Blacks enchainent les matchs et les voyages contre tout type de sélections. En 1935-36 ils ne restent « que » 4 mois et demi dans les Iles Britanniques et au Canada ne passant pas en France. Bilan : 26 victoires, 3 défaites et un nul. Après la Seconde Guerre Mondiale ils sont de retour en 53 pour 5 mois de tournée européenne ponctuée de 30 victoires  4 défaites et deux nuls. On notera au passage une performance qu’on est sans doute pas près de revoir : Deux défaites Blacks contre des Français en 3 jours. Contre une sélection du Sud-Ouest le 24 février 54 et contre la France le 27.

Ils reviennent en 63 pour une nouvelle balade de 4 mois, 36 matchs (un match tous les trois jours pratiquement tout de même !), 34 victoires, un nul et une défaite (pas contre la France ou l’Angleterre mais contre … Newport !). Une tournée qui se termine à Vancouver par une victoire 6-3 contre les moins de 25 ans de Colombie Britannique (si si !) ! Les Blacks se déplacent aussi régulièrement en Australie et en Afrique du Sud bien sûr avec des tournées tout aussi épiques comme celle de 3 mois en 1970 où ils enregistrent 23 victoires et 3 défaites, les 3 contre des Bocks qui historiquement ont toujours été ceux qui ont le mieux résisté à la Nouvelle Zélande.

La tournée européenne de 1972-73 reste peut être la plus emblématique de ces grands moments du rugby à l’ancienne. 32 matchs en 3 mois et demi  (oui ça ne date pas d’hier les « calendriers surchargés » du rugby !) en Grande Bretagne, France et Amérique du Nord. 25 victoires, 5 défaites et deux nuls. On imagine l’usure et la lassitude que devaient subir les Blacks dans ces opérations marathon. La liste des défaites démontre qu’ils n’étaient d’ailleurs pas toujours « à fond ». Si ils font un sans-faute contre les équipes nationales (en dehors d’une défaite contre la France), ils perdent contre des sélections moins motivantes : Llanelli, les West Midlands, les Comtés du Nord-Ouest de l’Angleterre et les Barbarians Britanniques ! Contre ces derniers à Cardiff, lors du dernier match en Grande Bretagne, ils font un haka pathétique (essayez de faire 32 beaux hakas en 3 mois !) qui fait aujourd’hui les beaux jours de Youtube :  https://www.youtube.com/watch?v=emJyEa4z2Ec&feature=share .

Trois ans plus tard les all Blacks font leur dernière tournée XXL . En deux temps. Ils partent d’abord 2 mois et demi en Afrique du Sud (fiche de 18-6) puis enchainent après deux semaines de pause avec un mois en Argentine et Uruguay (9 victoires). A partir de là, les voyages sont plus fréquents mais moins longs, voyages aériens moins onéreux et plus rapides aidant. Les tournées font rarement plus d’un mois. En 1981 ils passent ainsi 4 semaines en Roumanie et en France avec 10 matchs au programme et une seule défaite (qui reste légendaire par chez nous !!) contre le Comité des Alpes 18-16 à Lesdiguières.

En 1993, après donc les premières Coupes du Monde, les All Blacks font leur ultime tournée de plus d’un mois avec 6 semaines passées en Angleterre et Ecosse (12 victoires une défaite). C’est la fin des rencontres contre des sélections « exotiques », des clubs et des régions. En France la tournée de trois semaines en 95 verra ainsi les deux dernières rencontres « terroir » des Blacks chez nous contre le Languedoc Roussillon à Béziers et contre le comité Côte Basque Landes à Bayonne.

Depuis les Kiwis se déplacent quasi chaque année en Europe mais seulement pour affronter les équipes nationales dans des Tests matchs bodybuildés et surmédiatisés, des stades modernes et aseptisés avec parmi les incontournables des Hakas effrayants à souhait et  à la chorégraphie parfaite. Une nouvelle époque du rugby qui sent moins la ventreche grillée et la bière tiède mais où les Blacks excellent toujours et continuent de nous faire vibrer.

Bonne Coupe du Monde à tous. 

Photo: Les Blacks de la tournée de 1905

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